Jurisprudence récente – Paiement d'incitation à la location

Jurisprudence récente – Paiement d'incitation à la location

Éloïse Lafortune Viger, LL.B., M. Fisc. et Erin Lesser, LL.B., J.D., TEP 
2022-01-11
Jurisprudence récente – Paiement d'incitation à la location

Dans l’arrêt Motter c. Agence du revenu du Québec1, rendu en 2021, la Cour d’appel du Québec nous indique que la prudence est de mise dans des situations dans lesquelles des locateurs d’immeubles commerciaux versent des montants à leurs locataires et désirent réclamer dans leurs déclarations de revenus une déduction pour dépense courante pour ces montants. En effet, les faits propres à chaque situation sont extrêmement importants lors de la qualification de paiements à titre de paiements d’incitation à la location (ci-après, « PIL »).

Des PIL peuvent prendre différentes formes et ont pour objectif d’attirer de potentiels locataires d’immeubles commerciaux à conclure des baux à long terme avec un propriétaire donné. À titre d’illustration, un paiement d’une somme forfaitaire par le propriétaire ou un engagement à effectuer des améliorations locatives par le propriétaire peuvent être considérés des PIL s’ils ont pour but d’inciter un locataire à conclure un bail à long terme.

Dans la décision précitée, la Cour a donné raison aux autorités fiscales quant à la nature d’une dépense (de nature courante ou capitale) et a ainsi refusé sa déduction courante dans la déclaration de revenus du propriétaire.

En l’espèce, l’appelant, monsieur Frank Motter (ci-après, « Motter ») est un propriétaire d’immeubles commerciaux qui a payé un montant à sa locataire, Téléglobe Canada ULC (ci-après, « Téléglobe »), pour des améliorations aux lieux loués par Téléglobe.

Brièvement, le 9 février 2005, Motter acquiert un terrain vague. Par la suite, le 8 juillet 2005, il conclut un bail avec Téléglobe afin de construire un immeuble sur le terrain et de le lui louer pour une période de 15 ans. Il est également prévu qu’un montant de 25 $ par pied carré sera versé par Motter à Téléglobe pour les améliorations que cette dernière désire apporter à l’immeuble.

Des travaux sont effectués y compris des améliorations pour lesquelles Motter alloue le montant de 25 $ par pied carré à Téléglobe, soit un montant de 2 000 000 $. Par conséquent, Motter déduit de son revenu d’entreprise pour 2005 un montant de plus de 2 000 000 $ à titre de dépense courante. Il est à noter que Motter a été l’entrepreneur en charge des travaux relativement à ces améliorations locatives.

En 2009, l’intimée, soit Revenu Québec, émet un avis de cotisation et refuse la dépense pour le motif que le bail a été signé avant la construction de l’immeuble et que la dépense était plutôt de nature capitale. Motter conteste cet avis de cotisation par le biais d’un avis d’opposition, puis par le biais d’une requête en appel d’une cotisation fiscale.

Les prétentions de Motter sont à l’effet que le montant en cause constituait un PIL, soit une dépense courante qui pouvait être déduite de son revenu d’entreprise. À l’opposé, Revenu Québec soutient qu’il s’agissait plutôt d’une dépense en capital ayant procuré un avantage durable à Motter tout en améliorant le bien au-delà de son état initial.

Après une analyse de la jurisprudence de la Cour suprême pertinente en matière de PIL, soit les arrêts Canderel2, Toronto College Parket Ikea4, le juge de première instance arrive à la conclusion que les faits ne démontrent pas qu’il était nécessaire pour Motter d’avoir recours à un PIL pour inciter Téléglobe à louer son immeuble et que « rien ne rattache [la] dépense à autre chose qu’à la construction de l’immeuble et à la perspective d’un bénéfice futur lié à la perception du loyer ».

En appel, la Cour indique que Motter avait le fardeau de démolir les faits sur lesquels Revenu Québec se base en présentant une preuve prima facie (à première vue). Cependant, selon la Cour, Motter n’a pas apporté de preuve suffisante et a simplement réitéré que, lorsqu’il y a présence d’une allocation forfaitaire, la nature des travaux en tant que telle n’est pas pertinente quant à la question de savoir si la dépense peut être déduite sur une base courante ou non. En somme, un paiement fait à l’endroit d’un locataire par un propriétaire serait toujours déductible dans l’année où la dépense est engagée.

La Cour précise que le mécanisme de paiement ne dicte pas la nature d’une dépense. Une preuve aurait dû être soumise par Motter afin de démontrer que les travaux sont liés aux besoins spécifiques de Téléglobe. De surcroît, aucune preuve n’a été soumise à l’effet que l’objet des paiements était d’inciter Téléglobe à signer le bail et à accepter les obligations en découlant. En analysant les critères généraux d’une dépense, soit sa forme, son effet, son objet et sa justification, la Cour conclut que la dépense doit être traitée comme une dépense de nature capitale.

La décision du juge de première instance est donc maintenue et il faut s’assurer d’être bien prudents dans des cas similaires, puisque la position des tribunaux est qu’un paiement fait à un locataire n’est pas nécessairement déductible dans le revenu du locateur à titre de PIL. Le paiement doit avoir pour objectif d’inciter un locataire potentiel à conclure un bail commercial.

Pour en apprendre davantage, nous vous invitons à communiquer avec votre conseiller Crowe BGK.

 



1Motter c. Agence du revenu du Québec, 2021 QCCA 72, confirmant la décision Motter c. Agence du revenu du Québec, 2018 QCCQ 3483.

2Canderel Ltée c. Canada, [1998] 1 R.C.S. 147.

3 Toronto College Park Ltd. c. Canada, [1998] 1 R.C.S. 183.

4 Ikea Ltd. c. Canada, [1998] 1 R.C.S. 196.