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Analyse approfondie du gel et du regel en matière successorale

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2020-06-17
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Au fil du temps, les réorganisations corporatives et les stratégies visant à reporter des montants d'impôt sur le revenu sont devenues d’importants outils de planification pour les propriétaires d'entreprise.

Selon la législation canadienne, un contribuable est réputé disposer de tous ses actifs à leur juste valeur marchande
(ci-après, « JVM ») immédiatement avant son décès et sa succession est réputée acquérir ces actifs à leur JVM immédiatement après le décès. Le produit de disposition est imposé à titre de gain en capital dans la déclaration de revenus finale du défunt. Cela peut entraîner un impôt sur le revenu important lors de l'année du décès, diminuant ainsi la valeur des actifs de la succession dont hériteront les bénéficiaires. Malgré le fait que cette disposition présumée puisse être reportée lorsque les actifs sont laissés à un conjoint ou à une fiducie au profit du conjoint, il ne s'agit que d'une solution temporaire au problème et cela ne résout pas le cas du transfert d'actifs aux enfants.

Avantages d'un gel successoral

L'un des principaux objectifs d'un gel successoral est de transférer l'augmentation future de la valeur des actifs que le cédant détient (par exemple, la croissance d'une entreprise) à un autre contribuable (par exemple, une fiducie familiale, une société de portefeuille ou d'autres particuliers). Le « gel » se produit lorsque la valeur des actions d'une société est « gelée » avec un report d'impôt. Afin d’arriver à ce résultat, les actions sont converties en une nouvelle classe d'actions de gel, comportant des attributs spécifiques. Une entreprise est toujours « gelée » à sa JVM, ce qui signifie que l'actionnaire initial conserve les actions de gel non-participantes qui ont une valeur de rachat égale à la JVM au moment du gel. L'avantage de cette stratégie est que le cédant ne conserve que la valeur de ses actions à la date du gel tout en différant les impôts sur le revenu à payer sur le gain en capital imposable au décès. Lors du décès du cédant, il n’y a de l’impôt que sur le gain se rapportant aux actions gelées, tandis que toute augmentation de valeur supplémentaire depuis le gel s'accumule au profit de la génération suivante.

Dans des situations de crise, la valeur de nombreuses entreprises diminue considérablement. C'est précisément lors de ces moments qu’il peut être opportun de procéder à un gel (ou un regel à une valeur inférieure), afin que les contribuables puissent reporter à la prochaine génération le plus d’impôt possible sur les gains en capital ou alors maximiser l'exonération des gains en capital. Nous discuterons de ces éléments ci-dessous.

Procéder à un gel permet de transférer la croissance future de l'entreprise à la génération suivante tout en permettant au cédant de garder le contrôle de l'entreprise et, s'il en a besoin, de lui fournir une source de revenu en versant des dividendes sur ses actions de gel (ou en se les faisant racheter progressivement).

Il peut également être avantageux d'introduire une fiducie familiale lors de la mise en œuvre d’un gel successoral. Cette technique peut être utilisée afin de multiplier l'exonération des gains en capital parmi les bénéficiaires de la fiducie lors d'une future vente de la société à un tiers. En procédant ainsi, le gain en capital réalisé par la fiducie lors de la vente des actions de la société peut être partagé entre les bénéficiaires qui, si certaines conditions sont remplies, peuvent tous réclamer leur exonération des gains en capital afin de diminuer ou de rendre nul le gain en capital imposable.

Exemple de gel successoral typique

Le gel successoral typique se traduit habituellement par des faits semblables à ceux-ci :

  1. Bob et Vanessa, tous deux âgés de 65 ans, sont des résidents canadiens aux fins de l'impôt sur le revenu. Ils possèdent chacun un pourcentage de 50 % d'une entreprise prospère qu’ils exploitent depuis plusieurs années, soit la société ABC inc.;
  2. Bob et Vanessa ont trois enfants de 18 ans ou plus qui souhaitent reprendre les rênes de l'entreprise et qui y travaillent actuellement;
  3. Bob et Vanessa ont fait appel à des professionnels en matière d'évaluation. Il leur a été mentionné que l'entreprise valait
    2 000 000 $;
  4. Bob et Vanessa prévoient que la valeur d’ABC inc. augmentera de 2 000 000 $ au cours des dix prochaines années.

Bob et Vanessa ont initialement procédé à l’incorporation d’ABC inc. en souscrivant tous deux à 50 actions ordinaires pour 50 $. Si Bob et Vanessa décédaient soudainement dans dix ans, il y aurait une disposition réputée de tous leurs biens, dont les actions d’ABC inc., et cela générerait un gain en capital de près de 4 000 000 $ en ne considérant que lesdites actions.

Si Bob et Vanessa décidaient de procéder à un gel successoral dès aujourd'hui, ils conserveraient des actions de gel d'une valeur de
2 000 000 $. Une fiducie familiale souscrirait alors de nouvelles actions ordinaires de la société et bénéficierait de l'appréciation future de sa valeur. La fiducie familiale nommerait plusieurs autres membres de la famille, y compris les enfants de Bob et Vanessa, comme bénéficiaires de la fiducie familiale. Si Bob et Vanessa décédaient dans dix ans, le gain en capital à ce moment-là ne serait calculé que sur la valeur de 2 000 000 $ établie aujourd'hui.

Le regel

Le regel porte bien son nom; sa définition est exactement celle à laquelle nous pourrions nous attendre. En effet, un nouveau gel est mis en œuvre en introduisant un nouveau gel successoral dans une société déjà gelée afin de geler la valeur à la valeur actuelle qui est inférieure.

En prenant l'exemple ci-dessus, posons l’hypothèse que Bob et Vanessa ont mis en place un gel successoral il y a 10 ans. À ce moment, les actions d'ABC inc. avaient une JVM de 2 000 000 $. Ils détiennent alors actuellement des actions privilégiées de gel d'ABC inc. avec une JVM de 2 000 000 $. Ils réalisent toutefois que la JVM de ABC inc. n’est aujourd’hui que de 1 000 000 $.

Bob et Vanessa devraient réorganiser le capital-actions d'ABC inc. afin que leurs actions privilégiées d’une valeur de 2 000 000 $ soient échangées contre de nouvelles actions privilégiées avec une valeur de 1 000 000 $. De nouvelles actions ordinaires seront émises à la fiducie familiale (ou à une nouvelle fiducie). Ainsi, Bob et Vanessa abaisseront la valeur de leurs actions privilégiées, ce qui signifie qu’ils seront tenus à moins d’impôt lors de leur décès respectif.

En raison de la situation actuelle en lien avec la COVID-19, la JVM de la plupart des entreprises est inférieure à ce qu'elle serait normalement. Si cette JVM est inférieure à la valeur de rachat des actions privilégiées de gel, un regel est un outil de planification idéal. En effet, dès que la situation économique sera rétablie, toute croissance future de l'entreprise se fera au profit de la fiducie familiale. De plus, en réduisant la valeur des actions privilégiées détenues personnellement, l'impôt sur les gains en capital sera limité à la faible valeur actuelle.

Une autre possibilité de planification à envisager et qui peut être mise en œuvre en même temps qu’un regel est la possibilité de réinitialiser la règle des 21 ans pour les fiducies. Étant donné que la JVM de nombreuses sociétés a diminué de façon marquée en raison de la crise de la COVID-19, lors d'un échange d'actions privilégiées de gel contre de nouvelles actions privilégiées, les actions ordinaires détenues par une fiducie plus ancienne pourraient être rachetées pour un montant nominal et une fiducie nouvellement créée pourrait être introduite dans la structure en souscrivant à des actions ordinaires pour un prix nominal. Si vous envisagez ce type de planification, nous vous invitons à contacter votre conseiller Crowe BGK, car il y a certains éléments de planification spécifiques et des conséquences fiscales à prendre en considération.

Détermination de la JVM d’une société

La détermination de la valeur d'une société est une étape cruciale pour geler efficacement la valeur actuelle de la société, car cette évaluation peut faire l’objet de vérifications de la part des autorités fiscales ultérieurement à tout gel ou regel. Il est important d’obtenir une évaluation fiable de la société auprès d'un évaluateur d'entreprises qualifié et indépendant afin de maximiser les chances que les autorités fiscales acceptent la valeur à laquelle la société a été gelée. En outre, une clause d'ajustement de prix dans les documents mettant en œuvre le gel préserve la possibilité d'ajuster la valeur des actions si les autorités fiscales révisaient la valeur de la société à la date du gel, en autant qu'il y ait un effort raisonnable pour arriver à l'évaluation. Essentiellement, la clause d'ajustement de prix permet d’augmenter ou de diminuer le prix des actions pour qu’il soit conforme au prix déterminé par les autorités fiscales.

Validation que les actions « de gel » appropriées sont présentes dans le capital-actions - une condition préalable à la capacité de mettre en œuvre un gel successoral

En gardant à l'esprit que le moment présent est possiblement un temps opportun pour un gel successoral, le capital-actions d'une entreprise doit être analysé pour s’assurer qu'il existe des catégories d’actions appropriées pour mettre en œuvre un gel. Si ce n’est pas le cas, il sera important de procéder au dépôt de statuts de modification dès maintenant afin d’ajouter les catégories d'actions appropriées. Cela permettra à l'entreprise de procéder à un gel à tout moment après la modification des statuts (idéalement à la valeur la plus basse possible). Si la catégorie d'actions appropriée n'est pas disponible, la possibilité de geler ou regeler à la valeur la plus basse possible peut être perdue.

Pièges potentiels lors de la mise en œuvre d'un gel successoral

Si elle n'est pas adéquatement planifiée et exécutée, la mise en œuvre d'un gel successoral peut entraîner des conséquences fiscales négatives pour les parties concernées, dont l'application des règles d'attribution, l'application des règles de l'impôt sur le revenu fractionné (communément appelé l’IRF) et l’association de l'entreprise avec d'autres entreprises par inadvertance.

Il est à noter qu'il peut y avoir des conséquences fiscales négatives si le gel est considéré comme un dépouillement des actifs de la société. Par exemple, les dividendes versés sur les actions ordinaires, à moins qu'ils ne soient prélevés sur les bénéfices non répartis, ou les primes ou salaires versés au bénéficiaire d'un gel successoral suite à ce gel, dans la mesure où ces primes ou salaires ne sont pas proportionnels à la valeur des services fournis, pourraient être des problèmes potentiels indiquant un dépouillement des actifs.

Une attention particulière doit également être portée au compte de dividendes en capital. Il faut déterminer si une planification doit être mise en place pour « cristalliser » les dividendes en capital disponibles avant de disposer à perte de certains actifs, ce qui réduira le compte de dividendes en capital. Des conseils de professionnels en fiscalité sont nécessaires pour réussir la mise en œuvre d'un gel successoral.

Pour obtenir plus d'informations sur la mise en œuvre d'un gel successoral, veuillez contacter votre conseiller Crowe BGK.


Préparé par :

Aaron Patrick Belcher, CPA, CGA, est Conseiller en fiscalité chez Crowe BGK

Connectez avec lui : [email protected]

Erin Lesser, LL.B, JD, est Conseillère en fiscalité chez Crowe BGK

Connectez avec elle : [email protected]