Nouvelles exigences de déclaration des fiducies pour l'année 2023 et les années suivantes

Valérie Dumas, Isabelle Nadeau
2024-02-21
Nouvelles exigences de déclaration des fiducies pour l'année 2023 et les années suivantes

Le présent article traite de modifications fiscales ayant un impact sur les fiducies. Ces modifications sont d'une grande portée : elles concernent les fiducies que vous connaissez, mais aussi les situations dans lesquelles une fiducie serait considérée exister, comme les comptes bancaires en fiducie ou « in-trust ».

En vertu des nouvelles règles, la majorité des fiducies sont désormais tenues de produire une déclaration de revenus des fiducies annuellement, comme expliqué ci-dessous. En outre, sous réserve d'exceptions spécifiques, toutes les fiducies qui ont une obligation de produire une déclaration de revenus doivent désormais fournir des informations détaillées sur toutes les personnes impliquées dans la fiducie. Ces nouvelles exigences relatives aux fiducies s'appliquent aux années d'imposition se terminant le ou après le 31 décembre 2023. Pour l'année d'imposition se terminant le 31 décembre 2023, la date limite pour produire la déclaration de revenus des fiducies est le 31 mars 2024.

1. Points saillants des nouvelles règles

A. Quelles sont les fiducies qui doivent désormais produire une déclaration de revenus?

Les nouvelles exigences de production prévoient que toutes les fiducies expresses qui résident au Canada doivent désormais produire une déclaration de revenus annuelle des fiducies, même si la fiducie n'a pas de revenu à déclarer et/ou ne distribue aucun revenu ni de capital à ses bénéficiaires, sous réserve des exceptions décrites ci-dessous. Les fiducies étant déjà soumises à l'obligation de produire une déclaration de revenus en vertu des règles existantes (telles que les fiducies ayant un impôt à payer ou ayant distribué des revenus ou du capital à leurs bénéficiaires au cours de l'année, par exemple) restent soumises à l'obligation de produire une déclaration de revenus. En d'autres termes, la nouvelle obligation de déclaration s’ajoute à l'obligation existante.


Fiducies expresses

Les fiducies expresses sont des fiducies créées selon les instructions expresses du constituant ou du testateur, attestées par un acte de fiducie ou un testament ou, aux fins du droit civil québécois, une fiducie autre qu’une fiducie établie par la loi ou par un jugement. Cela englobe la majorité des fiducies que nous connaissons. Par conséquent, de nombreuses fiducies qui n'étaient auparavant pas tenues de produire une déclaration de revenus doivent désormais le faire en vertu des nouvelles règles. Une fiducie autre qu’une fiducie expresse est une fiducie imposée ou créée par les tribunaux, telle qu'une fiducie résultante ou une fiducie implicite; nous les voyons rarement.


Simples fiducies

Les nouvelles règles de déclaration s'appliquent aux simples fiducies. Les simples fiducies sont généralement réputées ne pas être des fiducies à des fins fiscales (c'est-à-dire qu'elles sont généralement ignorées), avec certaines exceptions, notamment en ce qui concerne l’exigence de produire une déclaration de revenus. L’expression "simple fiducie" n'est pas définie dans la législation fiscale. Il s'agit d'un concept de common law qui désigne généralement un arrangement de fiducie aux termes duquel le fiduciaire peut raisonnablement être considéré comme agissant à titre de mandataire pour tous les bénéficiaires de la fiducie en ce qui concerne toutes les transactions à l’égard de tous les biens de la fiducie.

Un fiduciaire peut raisonnablement être considéré comme agissant à titre de mandataire pour un bénéficiaire lorsqu'il n'a pas de responsabilités ou de pouvoirs importants, qu'il ne peut prendre aucune mesure sans instructions du bénéficiaire et que sa seule fonction est de détenir le titre de propriété.

Il convient de noter que l'obligation pour les simples fiducies de produire une déclaration de revenus ne modifie pas le principe général selon lequel tous les revenus provenant des biens de la fiducie doivent être déclarés sur la déclaration de revenus des bénéficiaires effectifs.

B. Quelles sont les nouvelles informations à divulguer?

Sous réserve des exceptions décrites ci-dessous, les nouvelles règles imposent à chaque fiducie tenue de produire une déclaration de revenus l’obligation de divulguer des informations comprenant le nom, l'adresse, la date de naissance, le pays de résidence et le numéro d'identification du contribuable (par exemple, le numéro d'assurance sociale) pour toutes les personnes suivantes en relation avec la fiducie:

  • le constituant;
  • tous les fiduciaires actuels;
  • tous les bénéficiaires (y compris les bénéficiaires éventuels); et,
  • toute personne qui a la capacité (en vertu des dispositions de la fiducie ou d'un accord connexe) d'exercer une influence sur les décisions du fiduciaire concernant l'affectation des revenus ou du capital de la fiducie, tel qu'un protecteur.

Les exigences en matière de déclaration des fiducies ne requièrent pas la divulgation d'informations protégées par le secret professionnel. 

C. Quelles sont les exceptions?

Les fiducies suivantes (les "fiducies désignées") sont exemptées à la fois de la nouvelle exigence de produire une déclaration de revenus et des exigences supplémentaires en matière de déclaration :

  • les successions assujetties à l’imposition à taux progressif;
  • les fiducies qui existent depuis moins de trois mois à la fin de l’année;
  • les fiducies qui détiennent des actifs dont la juste valeur marchande totale est inférieur à 50 000$ tout au long de l’année d’imposition (à condition que les actifs se limitent essentiellement à des dépôts, à certains titres de créance gouvernementale et à des titres cotés en bourse - voir note 1 ci-dessous);
  • les fiducies admissibles pour personne handicapée;
  • les fiducies de fonds commun de placement, les fiducies créées à l’égard du fonds réservé, les fiducies dont la totalité des unités sont cotées à une bourse de valeurs désignée et les fiducies principales visées par règlement;
  • les fiducies instituées en vertu de l’un des régimes enregistrés (c.-à-d. les régimes de participation différée aux bénéfices, les régimes de pension agréés collectifs, les régimes enregistrés d'épargne-invalidité, les régimes de participation des employés aux bénéfices, les régimes enregistrés de prestations supplémentaires de chômage, les REER, les REEE, les RPA, les FERR, les CELI, les CELIAPP) ;
  • les comptes de fiducie généraux des avocats (il est à noter que les fiducies maintenues séparément pour des clients spécifiques ne sont pas incluses dans cette exemption et sont soumises aux nouvelles exigences de déclaration);
  • les fiducies qui se qualifient en tant qu'organisations à but non lucratif ou organismes de bienfaisance enregistrés;
  • les fiducies de soins de santé au bénéfice d’employés;
  • certaines fiducies financées par le gouvernement; et
  • les fiducies pour l'entretien d'un cimetière ou les fiducies régies par un arrangement funéraire admissible.

Note 1 : Si une fiducie détient des actifs d'une valeur inférieure à 50 000$, y compris une pièce d'argent de collection transféré au moment de sa constitution, elle ne pourra pas se prévaloir de cette exception.

Bien qu'une fiducie désignée ne soit pas assujettie à la nouvelle exigence de déclaration, elle peut néanmoins être tenue de produire une déclaration de revenus en vertu des règles existantes

D. Quelles sont les pénalités en cas de non-respect des règles?

Ne pas produire une déclaration de revenus de fiducie ou de ne pas fournir les nouvelles informations requises entraînera l’application d’une pénalité pour production tardive calculée comme suit :

  • S'il y a un solde d'impôt impayé à la date d'échéance: 5 % de l'impôt impayé à la date d'échéance de la déclaration, plus 1 % de cet impôt impayé pour chaque mois complet de retard, jusqu'à un maximum de 12 mois; et
  • S'il n'y a pas de solde d'impôt impayé à la date d'échéance: 25 $ par jour pour chaque jour de retard, avec un minimum de 100 $ et un maximum de 2 500 $. 

Si la fiducie n'est pas une fiducie désignée et que l'omission a été commise sciemment ou dans des circonstances équivalant à une négligence grave, une nouvelle pénalité supplémentaire s'appliquera. Cette pénalité sera égale au plus élevé des montants suivants :

  • 5 % de la valeur maximale de tous les biens détenus au cours de l'année concernée par la fiducie; et
  • 2 500 $.

Cette pénalité pour négligence grave s'ajoute à la pénalité existante applicable dans ces circonstances, qui s'élève à 50 % de l'impôt sous-estimé et/ou des crédits surestimés attribuables à la fausse déclaration ou à l'omission. Une pénalité différente s'applique aux fiducies désignées.

En décembre 2023, l'Agence du revenu du Canada (ARC) a annoncé qu'elle accorderait un allègement aux simples fiducies seulement si la déclaration de revenus de la fiducie est produite après la date limite de production pour l'année d'imposition 2023 uniquement. Toutefois, si l'omission de produire la déclaration de revenus a été faite sciemment ou dans des circonstances équivalant à une négligence grave, l'ARC peut toujours appliquer la nouvelle pénalité supplémentaire.

Le Québec s'est généralement harmonisé avec les mesures fédérales susmentionnées en les rendant applicables à partir des mêmes dates que le gouvernement fédéral, à l'exception de l'allègement accordé aux simples fiducies.

2. Applicabilité des nouvelles règles à certaines situations

Vous trouverez ci-dessous des commentaires concernant certaines situations spécifiques dans le contexte desquelles les nouvelles exigences en matière de déclaration des fiducies doivent être prises en compte. Cette liste n'est pas exhaustive et d'autres situations peuvent exister et nécessiter qu’une fiducie produise une déclaration de revenus.

Il est également important de garder à l'esprit que chaque situation doit être examinée sur la base des faits propres à celle-ci. Certaines situations pourraient se situer dans une zone grise compte tenu du peu d'informations publiées par les autorités fiscales concernant les nouvelles exigences en matière de déclaration des fiducies. Si vous pensez que l'une des situations suivantes peut s'appliquer, veuillez contacter votre conseiller Crowe BGK pour déterminer si les nouvelles exigences de déclaration des fiducies s'appliquent.

A. Convention de simple fiducie de common law : Les simples fiducies régies par une juridiction de common law telle que l'Ontario sont couramment utilisées pour :

  • assurer la confidentialité et préserver l'anonymat du véritable propriétaire d'un bien immobilier lorsque les informations relatives à la propriété sont publiques (comme les registres d'enregistrement foncier);
  • minimiser les droits de mutations provinciaux ou les frais d'homologation dans les transactions où la propriété effective d'un bien est transférée entre plusieurs parties, mais où le titre de propriété demeure détenu par le fiduciaire;
  • faciliter un transfert de propriété effective dans le cadre d'une réorganisation d'entreprise, lorsque la propriété d'un bien doit être transférée et enregistrée plusieurs fois, ou si la propriété ne peut être transférée au moment voulu en raison de problèmes administratifs;
  • donner des biens à un ou plusieurs enfants mineurs qui ne peuvent pas détenir de titre légal; ou
  • détenir le titre de propriété d'un bien pour le compte d'un groupe de propriétaires dans le cadre d'une coentreprise ou d’une société de personnes.

L’ARC a confirmé que les arrangements de simple fiducie de common law sont soumis aux nouvelles exigences de déclaration des fiducies puisqu'une simple fiducie est considérée comme une fiducie expresse. La prudence est de mise car ces arrangements de fiducie peuvent avoir été mis en place il y a plusieurs années et les fiduciaires et/ou les bénéficiaires peuvent ne plus être au courant de leur existence.

Un arrangement de simple fiducie peut impliquer qu'une société prête-nom détienne le titre de propriété d'un bien immobilier. Un certain nombre d'auteurs ont estimé que dans ce cas, même si « BareCo » est une société, elle devra désormais, en tant que simple fiducie, produire une déclaration de revenus de fiducie (en plus de son obligation actuelle de produire une déclaration de revenus des sociétés). L'ARC n'a pas commenté les situations de simple fiducie impliquant des sociétés.

B. Contrats de prête-nom au Québec : Les contrats de prête-nom régis par le droit civil québécois sont parfois utilisés pour détenir des biens immobiliers ou à d'autres fins.  

L'ARC et Revenu Québec n'ont pas émis de commentaires sur l'applicabilité des nouvelles exigences de déclaration des fiducies aux contrats de prête-nom du Québec. Bien que la question ne soit pas dépourvue de doute, il semblerait que ce type d'arrangement ne soit pas concerné par la nouvelle exigence de déclaration de fiducie. 

C. Compte d'investissement non enregistré pour un mineur (ou un autre parent) : Un parent peut parfois ouvrir un compte d'investissement non enregistré pour son enfant (qui est mineur). Dans ce cas, l'institution financière émet des feuillets fiscaux au nom du parent « en fiducie » pour l'enfant. 

Cette situation serait vraisemblablement considérée comme une fiducie aux fins des nouvelles exigences de déclaration de fiducie.

D. Autorisation de gérer le compte bancaire d'un proche : Avec l'âge, certaines personnes peuvent décider d'autoriser un membre de leur famille à gérer leur compte bancaire afin de s'assurer que les fonds ne seront pas bloqués si elles deviennent inaptes à gérer leur compte. 

Cette situation ne semble pas être sujette aux nouvelles exigences de déclaration de fiducie, car il ne semble pas y avoir d’arrangement de fiducie dans ce cas.

N'hésitez pas à contacter votre conseiller Crowe BGK pour évaluer les conséquences potentielles que pourraient avoir pour vous les nouvelles exigences en matière de fiscalité des fiducies.