Incidences de la victoire des démocrates aux États-Unis sur les entreprises canadiennes

Incidences de la victoire des démocrates aux États-Unis sur les entreprises canadiennes

Crowe BGK
Brittany Klumak, Samuel Lecavalier
2021-03-02
Incidences de la victoire des démocrates aux États-Unis sur les entreprises canadiennes

Le 20 janvier 2021, Joe Biden a été intronisé 46e président des États-Unis, aux côtés de Kamala Harris, vice-présidente. Vu la nouvelle administration américaine en train de se mettre en place, les Canadiens doivent se montrer vigilants face aux incidences que les modifications proposées à la politique fiscale américaine pourraient avoir sur leurs activités à l’étranger et envisager de nouvelles stratégies de planification fiscale en prévision des nouvelles mesures qui risquent d’être adoptées aux États-Unis.

La plateforme du Parti démocrate de Joe Biden propose plusieurs changements clés visant principalement à augmenter l’impôt des grandes entreprises américaines, dont une série de nouvelles mesures qui devraient toucher indirectement les Canadiens à l’échelle mondiale. Voici les plus importantes :

  • Faire passer le taux d’imposition des sociétés de 21 % à 28 % et inclure un impôt minimum de remplacement de 15 % pour les sociétés dont le résultat comptable excède 100 M$ US;
  • Doubler le taux d’imposition effectif sur le revenu mondial à faible taux d’imposition tiré de biens incorporels (« GILTI »), qui passerait de 10,5 % à 21 %, et apporter des modifications structurelles importantes au régime d’imposition du GILTI;
  • Supprimer l’exemption relative aux investissements dans des actifs d’entreprise admissibles (« QBAI »).

L’arrivée au pouvoir de Joe Biden pourrait également avoir des répercussions sur la fiscalité des particuliers, car l’administration Biden propose de faire passer le taux d’imposition marginal des particuliers de 37 % à 39,6 % et d’appliquer les taux d'imposition sur le revenu ordinaires plus un impôt sur les revenus de placement nets de 3,8 % sur les gains en capital à long terme et les dividendes admissibles pour les contribuables dont le revenu imposable dépasse 1 M$ US.

Alors, que signifient les propositions de l’administration Biden pour les Canadiens ?

Hausse du taux d’imposition des sociétés

Au cours des primaires du Parti démocrate, Joe Biden a proposé de faire passer le taux d’imposition des sociétés de 21 % à 28 %, soit un peu moins que le taux de 35 % qui était en vigueur avant la réforme de Trump en 2017. Cette hausse du taux d’imposition des sociétés aux États-Unis rendrait le Canada plus attrayant au point de vue fiscal, ce qui augmenterait sa compétitivité par rapport à son voisin américain. Plus précisément, en supposant que le gouvernement canadien n’augmente pas lui aussi les taux d'imposition des sociétés, il serait plus coûteux pour les entreprises canadiennes, en ce qui a trait à l'impôt fédéral sur le revenu, d’exploiter une entreprise aux États-Unis ou d’y prendre de l’expansion, car le taux d'imposition des sociétés y serait alors supérieur à celui du Canada, selon le plan des démocrates. Au final, les entreprises canadiennes ayant des activités aux États-Unis seraient soumises à des impôts étrangers plus élevés. En prévision de ces changements, les entreprises américaines devraient trouver des façons d’accélérer les inclusions aux revenus ou de reporter les déductions fiscales aux États-Unis afin d’atténuer les répercussions de ce revirement.

À l'avenir, cependant, la hausse du taux d’imposition aux États-Unis par rapport taux canadien risque de déstabiliser les structures d'entreprise existantes et de modifier l'orientation de la planification fiscale transfrontalière, car les entreprises chercheront à augmenter les inclusions aux revenus au Canada et les déductions fiscales aux États-Unis. Dans cette optique, les politiques sur les prix de transfert devront être réexaminées attentivement.

Impôt supplémentaire sur le résultat comptable

Le parti démocrate propose de prélever un impôt minimum de remplacement de 15 % sur le résultat comptable des grandes entreprises, en particulier celles dont le résultat comptable dépasse 100 M$ US. Les entreprises touchées seraient ainsi tenues de payer le plus élevé entre l’impôt habituel sur le revenu ou l’impôt minimum de remplacement de 15 %. Cette mesure aurait pour effet d’augmenter le taux d’imposition des grandes entreprises américaines, perturbant encore davantage la compétitivité des investissements américains sur le plan fiscal et augmentant l’affectation des dépenses admissibles aux investissements américains.

Restructuration du régime d’imposition du GILTI

Le régime d’imposition du GILTI a été mis en place par l’administration Trump, dans le cadre de la réforme fiscale de 2017. En vertu de ce régime, un actionnaire américain qui détient au moins 10 % d’une société étrangère contrôlée par des Américains pourrait être obligé d’inclure sa part du bénéfice net de cette société dans son revenu brut, même si la société étrangère n’a effectué aucune distribution.

Outre la hausse du taux d’imposition, Joe Biden propose d’augmenter le taux d’imposition effectif sur le GILTI des filiales étrangères des entreprises américaines, ce qui rendrait plus onéreuse et plus difficile l'exonération d'une telle obligation fiscale pour les entités. Plus précisément, la proposition de l’administration Biden ferait passer le taux d’imposition effectif sur le GILTI de 10,5 % à 21 %, ce qui non seulement augmenterait les conséquences fiscales sur les activités à l’étranger des multinationales américaines, mais ferait aussi bondir à 25,2 % le taux donnant droit à l’exception pour impôt élevé du GILTI (actuellement de 18,9 %). En conséquence, une plus grande part du revenu serait assujettie au régime d’imposition du GILTI.

De plus, il sera dorénavant plus difficile d’exercer le choix fiscal prévu à l’article 962 de l’Internal Revenue Code, qui permet à un actionnaire américain d’éliminer l’impôt sur le GILTI. En vertu de cet article, un actionnaire américain d’une société étrangère contrôlée peut demander que le GILTI soit imposé comme s’il s’agissait d’un revenu d’une société américaine et ainsi obtenir un crédit pour impôt étranger correspondant à 80 % de l’impôt relatif à l'inclusion du GILTI. Ce crédit d’impôt, combiné à la déduction de 50 % dont peuvent bénéficier les entreprises américaines, permettait auparavant aux contribuables d’éliminer complètement l’impôt sur le GILTI si leur taux d’imposition effectif étranger était supérieur à 13,125 %. La hausse proposée du taux sur le GILTI limiterait les possibilités d’éliminer l’impôt sur le GILTI, car il faudrait dorénavant que le taux d’imposition effectif étranger soit supérieur à 26,25 %.

Les règles de calcul actuelles sur l’inclusion du GILTI prévoient un allègement pour les actionnaires américains en autorisant une réduction du revenu fondé sur les bénéfices lorsque le rendement sur les actifs corporels, notamment le QBAI, est de 10 %, ce qui correspond essentiellement à la moyenne des bases trimestrielles ajustées de l'entité dans certains biens corporels. Joe Biden propose d’éliminer l’exemption relative aux rendements tirés des QBAI, ce qui, encore une fois, augmenterait l’impôt prélevé en vertu du régime d’imposition du GILTI et alourdirait le fardeau fiscal des contribuables.

De fait, les modifications structurelles au régime d’imposition du GILTI annuleraient les mesures mises en œuvre en 2017 dans le cadre de la réforme fiscale de Trump. Au final, elles désavantageraient considérablement les filiales sous contrôle américain par rapport à leurs consœurs canadiennes, soulevant de nouveaux défis pour les entreprises américaines qui font des affaires à la fois aux États-Unis et à l’étranger.

Bien qu'un grand nombre de ces propositions soient susceptibles de réduire l'avantage fiscal dont bénéficient actuellement les entités américaines, les nouvelles mesures menacent également les structures existantes des entreprises canadiennes exerçant des activités aux États-Unis. Il est donc important pour celles-ci de bien se positionner par rapport à ces changements. Les taux d’imposition plus bas qui sont actuellement en vigueur aux États-Unis ont incité les entreprises canadiennes à prendre de l’expansion en sol américain au cours des dernières années. Si les changements proposés dans la politique des démocrates entrent en vigueur, nous nous attendons à ce que les entreprises canadiennes modifient leur structure actuelle pour rediriger leurs profits vers le Canada. Nous pensons notamment que les groupes de sociétés inverseront leur structure afin d’être contrôlés par une société canadienne plutôt qu’une société américaine dans le but d’éviter d’alourdir leur charge fiscale aux États-Unis.

Un nouveau président est au pouvoir et la plateforme des démocrates est en voie d’être mise en œuvre : on recommande donc fortement aux entreprises canadiennes, de même qu’aux contribuables ayant une double résidence au Canada et aux États-Unis, d’évaluer les incidences des propositions de l’administration Biden sur leurs activités actuelles et de commencer à élaborer une planification pour atténuer les répercussions menaçantes qu’une nouvelle loi pourrait avoir si elle était adoptée.